Pour les cyclanthropes, les sorties à vélo continuent, mais chacun en profite également pour faire des voyages plus lointains, avec tentes, en France ou à l’étranger. Alors, à cette époque où les maillots rouge et blancs sont visibles à différents endroits en même temps, c’est l’occasion de faire un retour sur une expérience de vélo. Après les impressions de Yohan, c’est au tour de David de revenir sur son expérience de Paris-Brest-Paris de l’été dernier !
De jambon beurre en jambon beurre… Paris Brest Paris en quelques heures !
Le confinement est l’occasion d’initier le compte rendu de ma participation au Paris Brest Paris 2019, la vie de famille et la reprise professionnelle ayant rapidement laissé en suspens ce souhait d’écriture… Aussi, ce temps forcé, chez soi, en famille, où notre rythme et nos habitudes sont chamboulés, est propice au souvenir… Une opportunité certaine de réfléchir au sens de nos vies, à nos attentes et au confort de cette existence…
Le Paris Brest Paris c’est une chance à portée de roue de vivre un temps avec soi-même, mais dans le confort d’un élan commun et d’une organisation aux petits oignons ! C’est loin d’une aventure dans les forêts de Sibérie, mais cela reste un défi que chacun est libre de vivre à sa façon. Les réalités des profils rencontrés, des enjeux et des choix opérés marquent la part de liberté liée à cette épreuve cycliste.
Ce Graal cyclotouristique n’ayant lieu que tous les quatre ans, c’est une première pour moi et comme toutes les premières fois, notre capacité de projection, notre imagination et même certaines appréhensions vont bon train à l’heure des préparatifs. La préparation justement, certainement la période clé de ce que seront ces quatre jours de vélo, et pour cela l’inscription impose une mise en situation progressive, avec la validation obligatoire d’au moins un brevet (BRM) de 200, 300, 400 et 600 km. Et cet hiver et printemps 2019, les conditions d’entrainements forts venteuses ont permis de tester les motivations et durcir les cuisses. Les candidats en préparation étaient toutefois nombreux et chaque brevet fut l’occasion de rencontres et d’échanges chaleureux ! Après avoir roulé plusieurs 200 et 300 km, je n’ai pu faire qu’un seul 400 et 600, tous deux au départ de Tournai (Be). Le 600 allait jusque dans les Fagnes et la belle ville médiévale de Monschau (All). Ce fut déjà de grands moments dans cette belle partie du parcours et une bonne mise en condition physique avec quelques heures de repos seulement au plus profond de la nuit, mal installé sur des chaises métalliques de quai de gare !
Mais revenons à ce 18 août 2019, ou plutôt même 17 août puisque l’homologation des vélos et le retrait de la plaque de cadre se fait la veille, et pour cette édition, une première, à la Bergerie nationale de Rambouillet, superbe écrin insuffisamment découvert sous la pluie. Le site accueille pour l’occasion le concours des Machines qui permet de rencontrer les artisans et d’admirer les montures spécialement imaginées pour l’épreuve.
La météo du lendemain est prévue plus clémente et à 19h30, c’est sous un beau soleil que la vague de 300 cyclistes du groupe « P » prend le départ pour un délai de 90 h et 1219 km. Je m’engage alors dans le flot d’un peloton qui sera ininterrompu jusque tard dans la nuit… se transformant en cheminement de lumières rouges oscillant au gré des perspectives… Ça y est c’est parti, je peux conjuguer au présent ce moment tant de fois sublimé par l’imagination…
La suite vous la connaissez ou l’imaginez tous, alors à quoi bon… on pédale comme des cons pendant 3 jours et demi en s’engouffrant des jambons beurres jusqu’à plus pouvoir, agrémentant le quotidien d’un mal au cul autant réel qu’imaginaire de s’infliger une telle pesanteur de fatigue…
M’enfin, c’est quand même bien davantage que ça et d’ailleurs je n’ai pas eu à souffrir de ma selle !
C’est tout d’abord le soleil qui décline progressivement sur la campagne au sortir de la Chevreuse et aux abords du Perche, le plaisir de croiser les propriétaires de petits bijoux artisanaux, notamment des randonneurs américains filant à l’ancienne sur leur 650b siglé B. Chapman ou d’autres grands noms… Après quelques dizaines de kilomètres en solo je trouve Bruno avec qui j’avais partagé des BRM l’année précédente, on roulera ensemble une partie de la soirée avant que les rythmes nous séparent.
La nuit est belle, le chemin balisé, j’ai plein de sandwich maisons en réserve alors on se laisse aller à divaguer et admirer le spectacle, premier arrêt rapide à Mortagne-au-Perche et premier contrôle à Villaine-la-Juhel, il est 5h, Paris s’éveille surement, mais ici les boulangeries n’ont pas fermé et proposent cafés et croissants à volonté ! Puis s’enchainent des kilomètres dont je garde moins de souvenirs, jusqu’à Fougères, second contrôle, kilomètre 306…dont on repart en se laissant glisser le long de ses remparts majestueux…
Je sais qu’au niveau de l’étang de boulet à Feins (35), un peu avant Tinténiac, ma compagne, les enfants ainsi que la belle-famille seront au bord de la route, le tracé ne passant qu’à quelques kilomètres de leur fief familial. Je les retrouve un peu avant midi avec émotions, ravi de pouvoir les embrasser et partager un peu de réalité cette aventure! Fruits secs, biscuits et yaourts pour ce ravitaillement personnalisé ; un grand merci de votre présence !
Tinténiac, kilomètre 360 ; 12 h 45, jambon beurre officiel et far breton, un peu de fatigue de la nuit, mais tout va bien sous le soleil…
L’après-midi sera plus exigeante, un petit vent se lève davantage et nous fait face… Avec joie je retrouve après une petite sieste au contrôle intermédiaire de Cadillac, Yohan, mon collègue des Cyclanthropes, parti une demi-heure après moi et qui roule, en compagnie de Thiéry, son père et de Fred, des expérimentés du Paris Brest Paris. Jusqu’à Loudéac on se donnera bien, en relais face au vent et avec la surprise de se retrouver locomotive de peloton ! On atteint Loudéac à 18 h 20 et on se fait un premier vrai repas au self du lycée, il y a beaucoup de monde, les pâtes trop cuites sont conformes à mes souvenirs de cantine… Le trio a prévu une douche et quelques heures de sommeil, je me tâte à faire comme eux malgré l’envie de rouler encore et le fait que j’avais envisagé de ne m’arrêter qu’à la nuit… Finalement, je choisis de rester en groupe et de suivre leur expérience ; les places pour dormir étant effectivement nombreuses ici, dans un gymnase devenu dortoir, rassemblant en rang d’oignon des dizaines de lits de camp. L’ambiance est un peu incongrue et surtout je ne suis pas rassuré quant à ma capacité de m’endormir à 20 h du soir ; le sommeil étant déjà une chose compliquée chez moi ! Et de fait des 4h de repos que nous nous sommes fixés, je ne fermerais pas l’œil, mais le corps se sera délesté d’un peu de fatigue.
Nous repartons après minuit pour Carhaix, en même temps que l’équipe du club de Loudéac… la nuit est froide et ça grimpe joliment pour sortir de la ville… j’ai envie d’avancer vite, comme pour compenser cet arrêt que j’aurais dû retarder et je file donc progressivement à bon train…. C’est à ce moment que je rentre vraiment dans l’épreuve et décide de suivre vraiment mon rythme et mes instincts… c’est aussi à partir de ce moment que commence à s’installer l’effort sur la durée ; deuxième nuit ; la magie de Paris Brest est là… Il est réjouissant de trouver au beau milieu de la nuit et au fin fond de la pampa des particuliers qui proposent aux noctambules à pédales, cafés et friandises… Cette partie semble belle, mais il faudra en juger à la lumière du retour… Il est de nouveau 4h00 du matin ; le temps habituel commence à se dissoudre…
Je me réchauffe d’une soupe au contrôle de Carhaix et me dope de café et de viennoiseries… Il reste 90km jusqu’à Brest, ces heures vont être les plus froides, l’ambiance est très humide et la température descend bien en dessous de 10 dans les monts d’Arrèe, certains parlent de 6, 5, et même 4… peu importe la précision, on a tous le même ressenti « glacial », la fatigue accentuant certainement les choses et les couches d’été insuffisantes… c’est assez dur, d’autant que se présente de longues descentes qui deviennent de véritables supplices…
Le levé d’horizon sur les monts d’Arrée est splendide et réchauffe le coeur, il s’exhale entre les hauteurs et les zones humides une atmosphère brumeuse majestueuse… les premiers calvaires de granite ouvragés s’éclairent progressivement, l’enclos paroissial de Sizun m’apparait dans toute sa splendeur et je redeviens un touriste flâneur le temps d’un café…
Brest se fait sentir et se fait attendre avec impatience… on finit par glisser jusqu’à la rade et trouver l’horizon maritime… l’entrée dans la ville se fait par le magnifique pont suspendu Albert-Louppe que j’avais eu l’occasion d’emprunter l’année précédente lors de l’épreuve du « Born to Ride » des phares de Chilkoot … je le retrouve avec le même plaisir que celui de revoir un vieil ami, puis traverse la ville jusqu’au jusqu’au contrôle où je fais tamponner mon carnet de route à 9h30. Ça fait 38 h que je suis parti de Rambouillet… J’imagine l’autre moitié dans cette continuité puisqu’il suffit de pédaler… je rentre toutefois davantage dans l’inconnu, ayant peu roulé les distances au-delà 600 km.
Au contrôle, j’ai le plaisir de retrouver Charlie et Valentin, partis une heure avant moi. Nous avons partagé de nombreux BRM cette année et l’on est heureux de reprendre la route ensemble. On prend notre temps pour sortir de la ville et se ravitailler… ce n’est pas une évidence de se lancer si rapidement sur le chemin du retour, par la même route de surcroit… ça parait même un peu stupide…
Finalement, c’est à notre tour de croiser les suivants encore en attente de Brest. Il fait maintenant chaud dans les monts d’Arrée… le paysage est à la hauteur de ce que l’on avait imaginé. De nouveau Carhaix, kilomètre 693, il est 14 h 30, pause pelouse, soleil et régime de banane ou presque ; je retrouve à nouveau Yohan, Thiery et Fred qui arrivent au contrôle…
Nous poursuivons avec Charlie et Valentin cette après-midi ensoleillée jusqu’à Loudéac, 90 km plus loin, après avoir passé le contrôle « secret » de St Nicolas du Pelem et apprécié les belles contrées vallonnées où nous étions cette nuit même en proie au brouillard et au froid. Y’a de l’ambiance sur le site, saucisse, merguez pour réchauffer les corps alors que la température tombe assez rapidement. Malgré une certaine fatigue, on repart vers 21 h, suffisamment ragaillardi pour s’attaquer à la soirée et la tombée de la nuit. On rencontre rapidement Mathieu, « Mr Pechtregon », qui concourt sur sa propre machine, accompagnée de sa compagne et d’Élisabeth qui pilote la machine des cycles Perrin… nous roulerons bon train, grandes discussions et brin de folie joyeux jusqu’à Tinténiac, comme si nous étions autour d’un feu pour y passer une nuit blanche… … il est 1 h 40 lorsque nous faisons tamponner notre carnet de route, nous en sommes au kilomètre 870 !
Je laisse ici les autres essayer de trouver une place dans les dortoirs bondés et repars seul après une courte pause… mon objectif de dodo est en effet un plus loin, où un lit m’attend dans la maison familiale à une vingtaine de kilomètres… j’amenuise à petite allure ces derniers kilomètres, plus aucun cyclo en vue et complètement las de cette journée interminable…
Quel plaisir d’atteindre son but et de retrouver un peu chez soi ! En mode robot je me restaure de pâtes froides préparées à mon intention et de tout ce qui se présente… l’animal à faim…, puis je tombe pour mes premières heures de sommeil depuis pratiquement 3 jours.
Le réveil me fait surgir de cette torpeur sans fond, quelques 4 h et demi plus tard, le corps lourd et rigide, mais reposé… le temps d’une douche et d’un petit déjeuner, de discuter et d’embrasser ma fille qui se lève juste à temps…. Je reprends le rythme oscillant des manivelles jusqu’au tracé du parcours…
« Entrer dans la danse, voyez comme on danse »… J’avais presque oublié les kilomètres qu’il restait et tous ces naufragés s’usant sur des départementales trop rectilignes, Sisyphes à vélo… absurde et heureux…
Fougères à nouveau, il est 10 h 15, c’est le kilomètre 923… il fait déjà chaud… J’embarque dans ma sacoche un ultime jambon beurre, par défaut, car j’en ai déjà que trop avalé, mais c’est tout ce qu’il y avait… c’est la dernière ligne droite, 300 km restent à parcourir et j’ai 27 heures pour cela, c’est large, je ne devrais normalement pas trop entamer la quatrième nuit !
Je retrouve vers midi Yohan, Thiéry et Fred qui sortent d’une pause-restaurant, ils ont dormi à Loudéac et sont repartis dans la nuit ; nous réunissons à nouveau les maillots Cyclanthropes et ça fait plaisir ! L’arrivée à Villaines-la-Juhel est merveilleuse de bonheur, c’est une haie d’honneur impressionnante de supporters agglutinés aux barrières, de banderoles et de haut-parleurs nous mettant dans l’ambiance d’une arrivée de grande classique.
Nous repartons pour les derniers 200 km après une pause en terrasse à l’écart du tumulte général ; l’après-midi est très chaude, mais le moral est au beau fixe et l’on roule à bon rythme dans cette partie vallonnée… retrouvant un peu plus loin la compagnie de Charlie et Valentin, mais aussi de Clément, autre Lillois, qui pilote la machine de Savarino… nous formons avec d’autres acolytes une joyeuse bande en route vers le bonheur… le rythme est soutenu et ça explose dans les bosses, un coup de moins bien plus loin et je m’arrête au ravito du club de Mamers avant la fringale… c’est une bonne adresse, y’a de la soupe et tout ce qui va bien de réconfort de la part des bénévoles du club…
J’atteins enfin Mortagne-au-Perche, il est 19 h 30… Charlie et Valentin m’ont devancé, ils profitent déjà du gazon et de la spécialité locale du boudin noir qui à ce moment de l’aventure réinvente le sandwich ; la température s’estompe légèrement, y’a des airs d’apéro, mais aussi de sieste… l’envie de s’arrêter un temps suffisant et de profiter, mais le but est trop proche et nous repartons au soleil couchant sans avoir pris le temps d’une sieste nécessaire…
La portion jusqu’à Dreux nous surprendra et s’avèrera très difficile, la nuit et le froid ayant rapidement investi cette zone boisée et vallonnée. Je grelote, mon corps est las de trop d’effort et j’ai oublié mes jambières quelques part… Terrassés, on n’avance pas, on pourrait se jeter dans le fossé quelques heures, mais le froid nous fait dire que ce n’est pas une bonne idée… C’est à ce moment qu’on regrette d’avoir été un peu trop prétentieux… Je crois qu’on partage tous les trois les mêmes sensations de toucher un peu nos limites…
Un phare dans la nuit se présente au bout de la forêt, c’est le stand du club de Senonches, installé rue de la Petite Vitesse… À n’en pas douter ils sont au bon endroits, des Saint-Bernard avec café, chocolat et même massage… des bénévoles chaleureux que l’on n’a plus envie de quitter, d’ailleurs on fait connaissance, on discute, on s’épanche, cette maman nous parle de son fils qui aurait mon âge, et peu importe le temps qui s’écoule… tout se conjugue au présent et se vit à l’instant… On finit par arriver au contrôle de Dreux après ces moments dantesques, il est 1 h 15 ! Si certains sont encore bien lancés, on n’est pas les seuls à être bien fatigués, c’est un peu Zombieland dans la place…
Ce sera notre dernière pause, on se restaure encore et on fait une sieste de vingt minutes qui en paraissent deux quand le réveil résonne sur la table. C’est toutefois salvateur et les 45 derniers kilomètres se passeront avec plaisir, moins difficiles, mais aussi galvanisés par l’arrivée. Toujours soudés avec Charlie et Valentin, ultimes petits pelotons et ultimes rencontres, on fait connaissance d’un japonais avec qui on franchit la flèche d’arrivée dans une euphorie partagée, soulagés et fiers d’en être venu à bout. « Ici Rambouillet, 22 aout, il est 4 h 30 heure locale » … je crois que je me suis bien leurré sur mes prévisions de ne pas trop entamer cette 4e nuit ! Le chrono d’homologation reste toutefois large et je suis proche de l’objectif que je m’étais fixé avec 80h43 écoulées depuis le départ.
Cet Aller-retour jusqu’à l’océan fut pleinement convivial et restera c’est sûr gravé dans la mémoire. Je l’ai partagé avec les copains tout en sachant me retrouver lorsque nécessaire. La magie de cette épreuve réside dans les rencontres de ces cyclistes de tous les continents mais aussi des riverains qui offrent tant de réconfort. On aimerait juste parfois que le choix des routes soit plus pittoresque et bucolique, mais le tracé est ainsi et c’est l’aventure humaine et personnelle que l’on retient.
David Bardel, Lille, juin 2020. Dossard P202.
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